La horde s'évapore

L’animal humain court dans la plaine, homme ou femme, se remarque la régularité du rythme, ni rapide, ni lent, constant, le point de vue prend du recul, l’angle s’ouvre, l’animal humain ne court pas seul, elle ou il, que vous importe-t-il ?, est accompagnée, ce sont des membres de la horde qui parcourent la plaine, foulent pieds nus la terre, soulèvent à peine la poussière, vers l’est, le nord, le sud ou l’ouest, dans le courant de l’histoire, naissance après mort, mort après naissance, de génération en génération, pour les siècles des siècles, du paléolithique à l’anthropocène et ses piles au lithium, le regard incarné s’offre l’illusion d’une accélération, l’espace resserré, le tissu social couvre la steppe, phagocyte la vie sauvage, ronge les forêts, assèche les zones humides, et cette filiation aux racines inversées plonge dans l’infini cosmos des chromosomes, dans la suite forcément continue des mères, des tantes, des sœurs, des filles, des pères, des oncles, des frères, des fils, les frontières s’estompent, pastels frottés, lavis déteints, parchemins grattés, des nouvelles chroniques, couches après couches, à chaque foulée un monde complet est donné, s’épanouit et s’évapore, comme la horde dans la tribu, la tribu, dans le peuple, le peuple dans les nations, les nations sur les pistes célestes des longs courriers, des charters à touristes, à réfugiés refoulés, et soudain, dans ce brouhaha, cette fourmilière, cette boîte de Petri, un regard singulier, une lumière précise, une femme trace un chemin à la machette, dans l’inconnu, dans ce qui ne peut se connaître et pourtant elle nous l’éclaire, elle nous y reconnaît, va donc encore distinguer ce qui est bénédiction ou malédiction.

Le petit trot des mots se suspend.

Le silence reprend sa place.

Yeux grands ouverts.