iGor milhit

Anti-anti-douleur

Les pieds déroulent le récit en épines de mélèzes, géants séculaires qui te serrent la gorge et saluent dans le feu l’été incinéré au pied de l’automne, s’apprêtent à migrer, plus haut, ailleurs, ou nulle part, quand on dit que tout change, c’est aussi que tout fini, c’est aussi que tout change, ça commence aussi, parfois, tant que ça dure, mais c’en est fini, c’est ainsi. Et qu’est-ce que la vie, celle qui reste, abandonnée, si ce n’est la rébellion, un point levé à la surface de l’océan tumultueux, derrière le mur, barbelés et circuits imprimés, qu’est-ce que la vie si ce n’est d’être submergé par le quotidien pour lequel il n’existe pas d’insulte à la hauteur de l’arrache-cœur et cette planète qui ressemble chaque jour de plus en plus à une terre lointaine, d’un autre système solaire, à l’autre bout de la galaxie, elle-même perdue dans un tout qui n’est rien tellement il est inconcevable, hein ?

Pourtant, tout va bien. Oui, ici, tout va bien, on ne peut pas se plaindre, on se plaint que tout aille si bien, on sait que ça ne va pas durer éternellement, et ce n’est pas même le souci. On se sent un peu coupable d’ailleurs, parce que si ça va si bien ici, c’est parce que ça va si mal ailleurs. Et ce n’est pas même le souci. Le souci, c’est que les constructions abstraites, virtuelles et psychiques ne cessent de s’écrouler et qu’il est nécessaire de sans cesse les construire à nouveau, mais il faut les réinveter à chaque fois, sur la base des essais et des erreurs, pas d’essais sans erreurs, console-toi et enroule-toi dans leurs souvenirs comme dans une vieille couverture de feutre, c’est ce qu’on appelle l’expérience.
Pourtant, tout va bien. Non ?

Sauf que j’ai mal et refuser cette douleur n’aide pas, bien au contraire. Il va falloir vivre dans l’inconfort, le temps des renaissances et des victoires est terminé, non pas que tout plaisir ne soit plus possible, mais un autre seuil se présente et ce n’est déjà plus tout à fait vers un monde plus vaste. Voici venu le temps et l’espace de la limite, du choix, du repli. Et avant d’y creuser une philosophie qui sache affronter la bourrasque, debout et nu, j’ai encore besoin d’explorer la courbure de l’espace-temps déformé par le deuil.